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Les publicités influencent-elles les choix alimentaires de nos jeunes?

25 mai 2018

La Stratégie sur la saine alimentation proposée par Santé Canada en octobre 2016 vise à aider les Canadiens à faire des choix plus sains en améliorant l’environnement alimentaire. Dans ce contexte, la restriction de la publicité d’aliments et de boissons malsains destinée aux enfants est l’un des engagements de cette stratégie. [1]

Ainsi, du 10 juin 2017 au 14 août 2017, Santé Canada a mené une consultation en ligne (ouverte au public, aux organisations de la santé, à l’industrie et aux autres intervenants intéressés) ayant pour but de recueillir des commentaires sur l’approche proposée à ce sujet. Les conclusions de cette consultation sont maintenant en traitement dans le but d’orienter le développement de règlements visant à restreindre la publicité d’aliments et de boissons malsains destinée aux enfants. [1]

De ce fait, il est possible de constater que le gouvernement fédéral reconnait l’importance du rôle de la publicité destinée aux jeunes dans leurs choix alimentaires. Dans l’optique de mieux comprendre ce phénomène, cet article présente l’influence du marketing sur les choix alimentaires des enfants et des jeunes en traitant de ses sources, de ses effets et de solutions pour les contrer.

Les enfants et les jeunes : vulnérables et clients potentiels

Chaque année, l’industrie agroalimentaire dépense plusieurs centaines de millions de dollars en publicité alimentaire destinée aux enfants (2 à 12 ans) et aux jeunes (13 à 17 ans) canadiens. [2] Il en est ainsi puisque les spécialistes du marketing comprennent la vulnérabilité et l’énorme pouvoir que les jeunes et les enfants détiennent en tant que clients. [3]

En effet, les enfants sont particulièrement vulnérables au marketing. Il a clairement été démontré qu’avant l’âge de 5 ans, la plupart des enfants ne peuvent pas distinguer les publicités d’une programmation normale qui n’est pas biaisée par un message publicitaire. Quant aux enfants de moins de 8 ans, il est avancé qu’ils ne comprennent pas encore l’intention de persuasion des messages publicitaires et qu’ils croient ce qu’ils voient. Puis, de 10 à 12 ans, les enfants comprennent que les publicités sont conçues pour vendre des produits, mais ils ne sont toujours pas capables d’exercer leur esprit critique à l’égard de ce qu’ils voient. De plus, les enfants possèdent déjà un pouvoir d’achat et ont aussi une forte influence sur 90% des achats alimentaires que leurs parents effectuent pour toute la famille, ce qui explique les grandes répercussions associées à leurs choix alimentaires. [3]

Les adolescents, eux, sont exposés à un nombre d’annonces supérieur aux enfants, ils s’en souviennent davantage et ont un sens critique qui reste à développer pour ne pas être piégés par les allégations trompeuses lorsqu’ils sont seuls. [3] Ils ont également un pouvoir d’achat plus important que les enfants et commencent à prendre leurs propres décisions quant à leur consommation de produits, dont les aliments et boissons. [4]

Pour ces raisons, les enfants et les jeunes sont devenus la principale cible de la publicité alimentaire parce qu’ils y sont plus réceptifs, moins critiques et représentent aussi des clients potentiels. [3, 5]

L’exposition des jeunes Canadiens à la publicité alimentaire

La télévision familiale qui diffuse des annonces destinées aux enfants et aux jeunes existe toujours et demeure un média d’influence dominant : en moyenne, un enfant regarde 2 heures de télévision par jour et voit entre 4 et 5 publicités d’aliments et de boissons par heure. [3]

Toutefois, il y a maintenant plusieurs autres appareils et écrans (ordinateurs portables, téléphones intelligents, tablettes) qui offrent des divertissements en tout temps, et du même coup plus de possibilités aux entreprises agroalimentaires de joindre cette clientèle. En effet, les enfants et les jeunes Canadiens passant près de 8 heures par jour devant un écran, leur risque d’être exposés à des publicités est d’autant plus élevé. [3] À preuve, entre juin 2015 et mai 2016, deux chercheuses de l’Université d’Ottawa ont étudié la quantité de publicités d’aliments et de boissons à laquelle les enfants et les jeunes du Canada étaient exposés chaque année sur leurs 10 sites Web favoris. Selon les résultats de leur recherche, en un an, à l’échelle du pays, les enfants ont vu 25 millions d’annonces et les jeunes 2,5 millions. Environ 90% des publicités présentaient des aliments à faible valeur nutritive, soit généralement des produits transformés riches en sucre, en gras et en sel : les produits publicisés en ligne visant les enfants et les jeunes sont le plus souvent des gâteaux, des biscuits, de la crème glacée, des restaurants et des boissons sucrées. [3] Par ailleurs, il a été démontré que l’influence de la publicité via les médias non traditionnels (c.-à-d. le numérique, le web et les applications mobiles, qui sont distingués des médias traditionnels comme la télévision, la radio, les journaux et les panneaux publicitaires) est dorénavant aussi puissante et efficace que celle provenant de la télévision. [6]

Le placement de produit dans un film, une émission ou encore un vidéo-clip et les emballages/étiquettes alimentaires affichant des personnages animés sont aussi des moyens d’attirer les enfants et les adolescents. À ce sujet, une étude canadienne publiée en 2008 déclarait que 89% des produits qui présentaient des personnages pour enfants étaient riches en sucre, en gras et en sel. [7]

Enfin, la présence de machines distributrices et de logos de compagnies alimentaires dans les environnements fréquentés par les enfants et les jeunes (écoles, arénas, cafétérias) est une forme de marketing qui favorise la visibilité et l’accès aux collations et aux boissons peu nutritives. [8]

Quels sont les impacts de la publicité alimentaire sur les choix alimentaires des enfants et des jeunes ?

Selon ce qui est démontré par la recherche et ce qu’il est possible de déduire logiquement, la publicité alimentaire affecte les préférences des enfants et des jeunes et détermine aussi en partie le type de produits qu’ils désirent et réclament à leurs parents. [3]

De plus, il est pertinent de noter que la plupart des effets observés se retrouvent autant chez les enfants de poids normal que chez ceux en surpoids ou obèses, et qu’il a également été prouvé que des impacts peuvent être observés à partir d’une seule exposition à des annonces alimentaires. [6]

Ainsi, la liste ci-dessous et non exhaustive présente les principaux effets du marketing sur les choix alimentaires des enfants et des jeunes qui ont été démontrés dans la littérature.

Technique publicitaire employée

Impacts sur les choix alimentaires

Annonce d’aliment ou de boisson diffusée à la télévision

↑ Susceptibilité de choisir l’aliment publicisé, même s’il s’agit de l’option la moins saine [9]

Priorisation du goût au détriment de la valeur nutritive pour effectuer des choix alimentaires [10]

↑ Apport énergétique (même avec des aliments non publicisés, ce qui est nommé l’effet « beyond-brand ») [11]

↑ Demandes d’aliments aux parents (et ainsi possibilité de ↑ des conflits familiaux) [3, 6]

↑ Désirabilité et acceptabilité du produit [6]

Annonce d’aliment ou de boisson diffusée sur le Web

↑ Désirabilité et acceptabilité du produit [6]

Placement de produit

↑ Susceptibilité de choisir l’aliment publicisé face à un aliment similaire d’une autre marque [12]

Emballage et logo caractéristiques à la marque

Les enfants perçoivent ces aliments comme ayant un meilleur goût que les aliments identiques avec un emballage neutre (« brand-identity »). [13]

Emballage ou étiquette alimentaires avec des personnages animés

Les enfants perçoivent ces aliments comme ayant un meilleur goût que les aliments identiques avec un emballage ou une étiquette neutre. [14]

Machines distributrices et logos

↑ Achat d’aliments et boissons à l’extérieur de la maison [8]

↑ Consommation de collations riches en sucre et/ou en sel [8]

Toutes

↑ Calories consommées

↑ Préférence pour la malbouffe

↑ Obésité infantile

À propos de la dernière ligne du tableau qui stipule que toutes les techniques publicitaires ont un impact sur l’obésité chez les enfants, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) atteste que les données probantes sont claires et sans ambiguïté : l’obésité infantile est influencée par le marketing d’aliments et de boissons riches en sucre, en gras ou en sel. [3]

Des solutions pour protéger la population

Selon un sondage mené par la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC, 77% des Canadiennes et Canadiens estiment qu’il est difficile de surveiller et de contrôler la publicité visant les enfants. [3]

Sans grande surprise, une étude canadienne a aussi révélé que l’autoréglementation des activités de commercialisation de l’industrie dans le cadre de l’Initiative canadienne pour la publicité sur les aliments et les boissons destinées aux enfants (IPE) de 2007 peine à être appliquée, et que l’exposition des enfants à la publicité d’aliments malsains a même augmentée depuis sa mise en place. [3]

Par conséquent, de nombreux chercheurs, organismes et fondations prônent plutôt des mesures législatives pour protéger la population, aider les parents à enseigner de saines habitudes à leurs enfants et assurer un respect équitable des normes par les entreprises agroalimentaires.

Par exemple, la Loi sur la protection du consommateur du Québec a été instaurée en 1980 pour interdire la publicité de tous les biens et services destinée aux enfants de moins de 13 ans. Le résultat ?

Selon un rapport de la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC en 2017 :

« Une étude de 2011 a conclu que la loi est associée à une réduction de 13 % (par rapport à l’Ontario) de la probabilité d’acheter des repas rapides et que « les répercussions sur le bien-être de la société d’une telle interdiction peuvent être importantes ». On observe au Québec le taux d’obésité le plus faible et le taux de consommation de légumes et fruits le plus élevé chez les enfants canadiens âgés de 6 à 11 ans –, et ce, malgré le fait que les enfants québécois comptent parmi ceux qui ont le mode de vie le plus sédentaire et malgré les lacunes et exceptions prévues par la loi. »

En ce sens, il est recommandé que le Canada adopte une politique semblable à celle du Québec pour protéger sa population. Après maints efforts, un pas a été amorcé dans cette direction en septembre 2016, lorsque la sénatrice Nancy Greene Raine a déposé un projet de Loi sur la protection de la santé des enfants au Sénat pour interdire la publicité d’aliments et de boissons auprès des enfants de moins de 13 ans. Apparemment, cette loi viserait non seulement la publicité dans les médias, mais aussi celle retrouvée sur les étiquettes et les emballages alimentaires. [3]

Cependant, même si la Loi sur la protection du consommateur du Québec a permis à la province d’atteindre le taux d’obésité le plus faible au Canada chez les enfants de 6 à 11 ans, il demeure que l’obésité infantile est une problématique qui ne cesse de croître et qui mérite de déployer tous les efforts possibles pour la freiner. De ce fait, la proportion des enfants québécois en surpoids a augmenté de 55% en 25 ans, passant de 14,6% en 1978 à 22,6% en 2004. [15] Ainsi, pour optimiser le succès de la lutte contre la publicité destinée aux enfants qui influence l’obésité infantile, la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC encourage la mise en place d’une stratégie globale incluant de multiples composantes, dont « l’amélioration de l’étiquetage et de l’information sur les aliments, un meilleur accès à une saine alimentation à prix abordable, le renforcement de la sensibilisation et des compétences du public, ainsi que des politiques favorables à une réduction de la consommation de sucre, en particulier sous forme liquide. »

Comment les professionnels de la santé peuvent-ils agir ?

Toujours selon la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC, plusieurs mesures peuvent être prises par les professionnels et les organisations du domaine de la santé pour protéger les parents et leurs enfants, telles que :

  • Endosser les Principes d’Ottawa et la Coalition Arrêtons la pub destinée aux enfants (CAPE) : ArretonsLaPubDestineeAuxEnfants.ca.  
  • Parler à la population des risques associés à la consommation d’aliments et de boissons à faible valeur nutritive à l’aide de campagnes de sensibilisation et d’éducation du public.
  • Plaider en faveur d’environnements alimentaires plus sains afin de faciliter les choix sains pour la population. [3]

Il est également avancé par les chercheurs qu’offrir de l’éducation aux parents et aux enfants sur les médias et sur la résilience à la publicité aiderait à favoriser des choix alimentaires plus sains. [9]

Article rédigé par Ariane Lafortune, étudiante au B.Sc. en Nutrition de l’Université de Montréal, en collaboration avec l’équipe CIRCUIT

Références

  1. Santé Canada, Rapport de la consultation sur la restriction de la publicité des boissons et des aliments mauvais pour la santé des enfants au Canada. 2017: Ottawa. p. 1-44.

  2. Blades, M., C. Oates, and S. Li, Children's recognition of advertisements on television and on Web pages. Appetite, 2013. 62: p. 190-3.

  3. La Fondation des maladies du coeur et de l’AVC, Nos enfants sont bombardés. Comment le marketing de l’industrie des aliments et boissons met en péril la santé de nos enfants et de nos jeunes. 2017. p. 1-16.

  4. Barr-Anderson, D.J., et al., Does television viewing predict dietary intake five years later in high school students and young adults? Int J Behav Nutr Phys Act, 2009. 6: p. 7.

  5. Bruce, A.S., et al., Apples or candy? Internal and external influences on children's food choices. Appetite, 2015. 93: p. 31-4.

  6. Pettigrew, S., et al., The effects of television and Internet food advertising on parents and children. Public Health Nutr, 2013. 16(12): p. 2205-12.

  7. Elliott, C., Assessing 'fun foods': nutritional content and analysis of supermarket foods targeted at children. Obes Rev, 2008. 9(4): p. 368-77.

  8. Minaker, L.M., et al., Associations between the perceived presence of vending machines and food and beverage logos in schools and adolescents' diet and weight status. Public Health Nutr, 2011. 14(8): p. 1350-6.

  9. Ferguson, C.J., M.E. Munoz, and M.R. Medrano, Advertising influences on young children's food choices and parental influence. J Pediatr, 2012. 160(3): p. 452-5.

  10. Bruce, A.S., et al., The Influence of Televised Food Commercials on Children's Food Choices: Evidence from Ventromedial Prefrontal Cortex Activations. J Pediatr, 2016. 177: p. 27-32 e1.

  11. Halford, J.C., et al., Beyond-brand effect of television (TV) food advertisements/commercials on caloric intake and food choice of 5-7-year-old children. Appetite, 2007. 49(1): p. 263-7.

  12. Auty, S. and C. Lewis, Exploring children's choice: The reminder effect of product placement. Psychology and Marketing, 2004. 21(9): p. 697-713.

  13. Thomas N. Robinson, M., MPH; Dina L. G. Borzekowski, EdD; and P.H.C.K. Donna M. Matheson, PhD, Effects of fast food branding on young children's taste preferences.pdf>. Arch Pediatr Adolesc Med., 2007. 161(8): p. 792-797.

  14. Roberto, C.A., et al., Influence of licensed characters on children's taste and snack preferences. Pediatrics, 2010. 126(1): p. 88-93.

  15. Gouvernement du Québec. Child Obesity: Excess Weight in the Young. 2009; Available from: http://www.msss.gouv.qc.ca/sujets/santepub/nutrition/index.php?obesite_chez_enfant_en.

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Article écrit par Amandine Moukarzel, nutritionniste Catégories présentes: alimentaires| Article| choix| nutrition| professionnel| publicité| télévision