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Obésité – Les écrans et l’alimentation

18 juillet 2017

Au Canada, l’obésité chez les jeunes est en croissance. En 2014, selon des mesures autodéclarées de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC), près d’un jeune sur quatre de 12 à 17 ans faisait de l’embonpoint ou de l’obésité [1]. Malgré que cela soit comparable à la situation de 2013, cette problématique « est en hausse significative par rapport à la proportion de 19,4 % enregistrée en 2005 »[1].

Parallèlement, la sédentarité des jeunes atteint des seuils alarmants. Selon un rapport de Québec en forme (2013) analysant 11 318 jeunes du 3e cycle du primaire, « seulement 34 % des jeunes [au Québec] affirment passer habituellement moins de 2 heures par jour à regarder la télévision, jouer sur l’ordinateur ou à des jeux vidéo » [2], et donc respectent l’une des recommandations des Directives canadiennes en matière de comportement sédentaire pour les jeunes de 5 à 17 ans [3].

En effet, la sédentarité et une mauvaise alimentation sont souvent pointées du doigt pour expliquer la hausse de l’embonpoint dans la société canadienne. Il va de soi qu’un manque d’activité physique engendre une diminution de la dépense énergétique et que celle-ci pourrait être en partie responsable du surpoids. Toutefois, est-ce que les loisirs sédentaires impliquant un écran (télévision, ordinateur, jeux vidéo), pourraient avoir un effet sur l’alimentation?

 Les activités sédentaires en lien avec la diète

Indépendamment de la baisse de la dépense énergétique liée à la sédentarité, il serait possible que les activités sédentaires soient liées à une mauvaise alimentation.

Selon une revue systématique de la littérature, il y a une tendance évidente que les activités sédentaires, surtout celles impliquant des écrans et surtout la télévision, sont associées à plusieurs éléments d’une mauvaise alimentation (↓ fruits et légumes, ↑ boissons sucrées, apport énergétique total excessif, etc.) chez les jeunes dans la plupart des études transversales [4].

Les auteurs de la revue systématique ont séparé les résultats selon les différents groupes d’âge, soient les tout-petits du préscolaire (< 5 ans), les enfants (6-11 ans), les adolescents (12-18 ans) et les adultes (> 18 ans). Un nombre d’études révisés insuffisants, l’utilisation de méthodes différentes et la nature transversale de la plupart des études sont des limites qui ont empêché l’élaboration d’une conclusion claire pour chacun des groupes d’âge [4]. Toutefois, dans le cas des préscolaires et des enfants, une à deux études longitudinales confirment les associations établies, ce qui leur donne plus de poids [4].

En outre, au niveau de la population canadienne, une étude transversale ayant analysé 630 enfants canadiens de 8-10 ans enrôlés dans la cohorte Quebec Adiposity and Lifestyle Investigation in Youth (QUALITY) rapporte des résultats similaires [5]. En effet, un temps d’écran ≥ 2h serait associé à une diète plus riche en énergie et plus faible en fruits & légumes et en fibres, et ce, surtout chez les enfants en surpoids (≥ 85e percentile) [5].

Mais quels sont les mécanismes qui pourraient expliquer l’association entre la sédentarité et une mauvaise alimentation? Sans prétendre en faire une liste exhaustive, voici deux pistes envisageables :

  1. La faible dépense énergétique associée à la sédentarité ne serait pas compensée par une réduction des apports énergétiques

Lorsqu’il s’agit de maintenir son poids, tout est une question de balance énergétique : l’apport énergétique doit être égal à la dépense énergétique. Ainsi, il est pertinent de se questionner à savoir si la quantité de nourriture consommée suite à une journée très sédentaire est différente de celle consommée suite à une journée ponctuée d’activité physique. C’est ce qu’a fait une équipe de chercheurs canadienne dans une étude de type « crossover » [6]. Un groupe de 20 enfants, âgés de 10-14 ans, a été invité à participer à trois journées durant lesquelles le niveau d’activité était changeant : (1) sédentaire à 100%, (2) sédentaire avec 2 minutes d’activité légère à toutes les 20 minutes et (3) sédentaire avec 2 minutes d’activité légère à toutes les 20 minutes ainsi qu’une période de 40 minutes d’activité physique d’intensité modérée [6]. Les apports alimentaires étaient structurés et prédéfinis pour le déjeuner et le dîner, mais un buffet à volonté attendait les jeunes à la fin de leur journée vers 16h00 [6]. Les résultats obtenus, quoiqu’ étant très exploratoires selon les auteurs, suggèrent que les enfants ne compensent pas une période sédentaire prolongée par une diminution de leurs apports énergétiques [6]. Ainsi, ces résultats pourraient signifier que la sédentarité contribue à une balance énergétique positive en diminuant la dépense énergétique, mais aussi en raison de l’absence de la compensation de l’apport énergétique selon la dépense de la journée [6]. D’autres études seraient nécessaires pour éclaircir cette piste hypothétique.

  1. Les écrans représentent une distraction qui serait susceptible d’augmenter la consommation alimentaire

Manger tout en étant distrait, que ce soit en regardant la télévision ou en jouant à l’ordinateur, pourrait augmenter la consommation alimentaire de trois façons : (1) initier, (2) obscurcir et (3) rallonger la consommation [7].

Tableau 1. Explication des mécanismes reliant la distraction à la surconsommation alimentaire [7], appuyés d’exemples

Mécanisme

Explication

Exemple – au cinéma

Initier la consommation

Fait référence aux habitudes de consommation que les individus peuvent avoir face à une distraction, et ce, sans ressentir la faim.

Choisir de manger du popcorn devant un film, et ce, sans avoir faim.

Obscurcir la consommation

Fait référence à la difficulté de reconnaitre ses signaux de faim/satiété durant une distraction.

Continuer de manger le popcorn sans y prêter attention.

Rallonger la consommation

Fait référence au fait que la distraction peut amener les gens à manger jusqu’à une certaine finalité dans le temps.

Cesser de manger seulement lorsque le film est terminé.

Tableau adapté du contenu de Wansink, B. (2004)

D’autres mécanismes pourraient également être intéressants pour expliquer l’association entre la sédentarité et la mauvaise alimentation, par exemple l’influence de la publicité alimentaire sur la consommation des jeunes.

Les stratégies pour réduire les activités sédentaires

Étant donné que la sédentarité est probablement associée à une mauvaise alimentation, limiter le temps d’écran est un objectif souhaitable. Afin d’y arriver, quelques stratégies seront nécessaires. Selon une revue de la littérature de 10 revues systématiques et méta-analyses (2014), les interventions visant à réduire la sédentarité chez les jeunes ont un impact statistiquement significatif lorsque mesuré durant l’intervention et ont un impact léger, mais significatif, lorsque mesuré après l’intervention [8]. Voici quelques stratégies relevées dans cette revue systématique ainsi que d’autres stratégies pouvant être essayées auprès des familles :

Interventions de type informationnelles

  • Séance de suivi avec les familles afin de leur donner des conseils individualisés;
  • Ateliers plus intensifs pour les parents;
  • Envoi de bulletins d’informations aux parents.

Ces interventions ont l’avantage de faciliter le partage d’informations relatives à la santé qui sont connexes au sujet de la rencontre (santé en générale, alimentation, etc.) [8].

Interventions de type comportementales

  • Fixer des objectifs de temps d’écran;
  • Développer un plan de visionnement de la télévision;
  • Laisser l’enfant identifier des activités alternatives;
  • Encourager les jeunes à pratiquer une activité physique qu’ils aiment après l’école;
  • Inciter les familles à manger les repas et les collations à la table, avec la télévision éteinte;
  • Mettre l’emphase sur le rôle de modèle que doivent jouer les parents;

Les auteurs soulèvent que donner une certaine autonomie et responsabilité à l’enfant dans sa démarche de changement pourrait lui donner un sentiment de contrôle, ce qui est important dans la réduction des activités sédentaires [8].

Interventions de type environnementales

  • Utiliser un dispositif de contrôle du temps d’écran sur la télévision;
  • Laisser la chambre à coucher exempte d’écrans (télévision, ordinateur);

L’utilisation d’un dispositif de contrôle sur la télévision serait efficace pour réduire le temps d’écran [8]. De plus, l’enfant a l’opportunité de choisir le moment durant lequel il veut regarder la télévision. Cela lui confère un certain contrôle qui, similairement à ce qui a été énoncé plus tôt, est important dans la réduction des activités sédentaires [8]. Cela limite également le risque de conflit entre les parents et l’enfant [8]. D’autres études sont nécessaires afin de déterminer si cette intervention demeure efficace à long terme, en enlevant le dispositif par exemple [8].

Support social des parents dans les interventions

Dans tous les cas, la participation des parents et leur soutien dans la démarche de changement de leurs enfants sont primordiaux dans la réussite des interventions [8].

Conclusion

Pour finir, la littérature actuelle suggère que les activités sédentaires, surtout celles impliquant des écrans et surtout la télévision, pourraient être associées à plusieurs éléments d’une mauvaise alimentation chez les jeunes. Quelques mécanismes expliquant ces associations sont abordés, soient que la faible dépense énergétique associée à la sédentarité ne serait pas compensée par une réduction des apports énergétiques et que les écrans représentent une distraction qui serait susceptible d’augmenter la consommation alimentaire.

Des interventions de type informationnelles, comportementales et environnementales ont été relevées dans la littérature afin de diminuer la sédentarité chez les jeunes. Instaurer un dispositif limitant le temps d’écran sur la télévision semble être une méthode efficace pour l’instant. Quoiqu’il en soit, le support des parents est d’une importance capitale dans la démarche de changement.

À l’heure actuelle, il n’est plus juste de limiter les écrans à la télévision, l’ordinateur ou les jeux vidéo. Effectivement, la société d’aujourd’hui est témoin d’une multiplication des écrans sur le marché. Téléphones intelligents et tablettes font maintenant partie intégrale du quotidien. Il est important de garder ce point en tête lors de la lecture de documents scientifiques, puisque ceux étant un peu plus anciens ne s’intéressent pas encore à ces technologies modernes. Ainsi, il est à prévoir que davantage d’études sur ces appareils verront le jour dans les prochaines années.

Article rédigé par Amélie Loiselle, étudiante au B.Sc. en Nutrition de l’Université de Montréal, en collaboration avec l’équipe CIRCUIT.

Bibliographie

1. Statistique Canada. Embonpoint et obésité chez les jeunes (mesures autodéclarées), 2014. 2014; Available from: http://www.statcan.gc.ca/pub/82-625-x/2015001/article/14186-fra.htm.

2. Québec en forme. État de la situation 2010-2011 : Collecte de données auprès des jeunes du 3e cycle du primaire – Activité physique, Alimentation, Image corporelle – Rapport provincial. 2013; Available from: http://www.quebecenforme.org/media/207209/qef-eval_rapport-provincial-primaire_enquete-enforme-2010-2013_octobre-2013.pdf.

3. Société canadienne de physiologie de l'exercice (SCPE). Cahier pour les Directives en matière d'activité physique et de comportement sédentaire (2012). 2012; Available from: http://www.csep.ca/CMFiles/Guidelines/CSEP_Guidelines_Handbook_fr.pdf.

4. Hobbs, M., et al., Sedentary behaviour and diet across the lifespan: an updated systematic review. British journal of sports medicine, 2014: p. bjsports-2014-093754.

5. Shang, L., et al., Screen time is associated with dietary intake in overweight Canadian children. Preventive medicine reports, 2015. 2: p. 265-269.

6. Saunders, T.J., et al., Children and youth do not compensate for an imposed bout of prolonged sitting by reducing subsequent food intake or increasing physical activity levels: a randomised cross-over study. British Journal of Nutrition, 2014. 111(04): p. 747-754.

7. Wansink, B., Environmental factors that increase the food intake and consumption volume of unknowing consumers*. Annu. Rev. Nutr., 2004. 24: p. 455-479.

8. Biddle, S.J., I. Petrolini, and N. Pearson, Interventions designed to reduce sedentary behaviours in young people: a review of reviews. British journal of sports medicine, 2014. 48(3): p. 182-186.

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