Chez les enfants, pour qu’une intervention axée sur le mode de vie soit efficace, l’implication et la participation de leurs parents sont des éléments importants dans l’adoption de comportements sains1. Le modèle du partage des responsabilités dans l’alimentation chez les enfants et les adolescents abonde en ce sens. Celui-ci est fondé sur la confiance envers le jeune et où autant les parents que les jeunes ont un rôle à jouer lorsqu’il est question de l’heure du repas. Toutefois, ce concept est peu connu des parents et, en matière de nutrition et d’alimentation, ces derniers ont souvent le réflexe de consulter des sites web avant de consulter un professionnel de la santé2. Ainsi, ils sont confrontés à une cacophonie d’informations plus ou moins fiables. Certains essaient même des astuces qui s’avèrent nuisibles, comme la restriction ou encore la récompense alimentaire. Afin de bien prendre en charge les familles par rapport à l’alimentation, cet article présente le concept du partage des responsabilités entre le jeune et ses parents.
En premier lieu, le concept du partage des responsabilités dans l’alimentation chez les enfants et les adolescents a été introduit par Ellyn Satter, une nutritionniste expérimentée dans la dynamique de l’alimentation chez les enfants3. L’approche se définit comme ceci4 :
Responsabilités des parents
Quoi manger
Fait référence aux aliments servis :
Quand manger
Fait référence au moment où les
repas/collations sont pris :
Où manger
Fait référence à l’endroit où les
Comment manger
Fait référence à l’ambiance au repas :
Responsabilité de l’enfant et de l’adolescent
Combien manger
Fait référence à la quantité d’aliments à
ingérer :
Autrement dit, il est de la responsabilité des parents de s’assurer que les aliments servis soient sains et variés, qu’il y ait une régularité dans l’horaire des repas, que ceux-ci se déroulent à table, sans écran et que l’ambiance soit plaisante pour laisser place à la discussion. Plus spécifiquement à l’enfant et à l’adolescent, leur tâche les amène à manger la quantité dont ils ont besoin, et ce sans restriction. Il est d’autant plus fondamental que les parents démontrent une confiance envers le jeune par rapport à la quantité qu’il décide de manger.
Dans ce concept, les parents jouent plutôt un rôle d’encadrement dans l’alimentation de leur enfant plutôt qu’un rôle de contrôle, étant donné que ce sont eux qui façonnent l’environnement alimentaire à la maison5. Ils représentent également un modèle et une source d’influence pour ceux-ci. Une étude est même venue démontrer que les adolescents âgés de 14 à 18 ans sont plus influencés par ce qu’ils voient que par ce qu’ils entendent5. Dans ce sens, les parents se doivent de montrer l’exemple à leur tour à l’heure des repas, puisque l’encouragement verbal ne semblait pas produire de changement d’habitudes alimentaires chez ces adolescents. Plus concrètement, les parents devraient manger les mêmes aliments que l’enfant ou bien laisser le cellulaire de côté s’ils l’interdisent d’écouter la télévision au moment du repas.
Le modèle de Satter suit d’ailleurs le courant de pensée du « responsive feeding ». L’alimentation réactive est caractérisée par la reconnaissance des signaux d’appétit de l’enfant6. Autrement dit, en étant amené à être à l’écoute de son corps et de son appétit, l’enfant peut déterminer la quantité d’aliments à consommer. Cependant, pour aider l’enfant à développer ses habiletés à reconnaître ses signaux, il est nécessaire que les repas se passent à des heures régulières et que le contexte soit adéquat, c’est-à-dire plaisant, sans distraction, à table et en famille. De cette façon, l’enfant est plus enclin à développer de saines habitudes alimentaires sur le long terme7. Ainsi, le modèle de Satter et celui de l’alimentation réactive soutiennent une approche comportementale où l’enfant est à l’écoute de ses signaux d’appétit pour décider de la quantité d’aliments à ingérer et soulignent l’importance d’avoir un contexte de repas régulier et adéquat.
Dans la littérature, plusieurs études ont évalué l’influence des styles d’alimentation parentale sur les habitudes alimentaires de leurs enfants, puisque les pratiques parentales seraient une bonne cible pour les interventions qui visent à prévenir les habitudes alimentaires malsaines et le surpoids chez l’enfant7. Trop souvent, les gens ont tendance à croire que la solution pour contrôler un gain de poids chez un enfant en surpoids est de lui offrir de plus petites portions ou sinon de le mettre sur une diète, en se basant sur la croyance qu’un enfant ne peut réguler correctement ses apports alimentaires3. D’une part, les pratiques de contrôle directes ou indirectes, telles que la restriction alimentaire, empêcheraient l’enfant de manger selon ses signaux d’appétit7. Cette pratique amènerait même l’enfant à trop manger, à prendre plus de poids, à développer des troubles alimentaires et à diminuer son estime de soi3. Bref, ceci va à l’encontre du concept de Satter, puisque la responsabilité du « combien manger » n’est pas laissée à l’enfant.
Il a été démontré dans les études, qu’un enfant à qui on laisse la confiance de décider de ses portions développe une meilleure estime, se responsabilise, apprécie plus leur corps et ne devient pas préoccupé par la nourriture3. Il est à considérer qu’une faiblesse du modèle du partage de responsabilités est qu’il suppose que les jeunes sauront reconnaître instinctivement leurs besoins. Cependant, certains d’entre eux ignorent ce que sont les signaux d’appétit. Satter rapporte qu’il y aurait une période d’adaptation d’environ 2 à 4 semaines pour que les jeunes enfants apprennent à reconnaître ses signaux, mais cette hypothèse reste encore à valider3. Toutefois, il a été rapporté dans une étude que des enfants d’âge préscolaire ont appris à réguler leurs apports à la suite d'une intervention de 6 semaines les éduquant sur les signaux d’appétit3. Par ailleurs, pendant la période de transition, les parents doivent tout de même faire preuve de confiance envers leur enfant, et ce même s’ils sont craintifs face à leur capacité de reconnaître leurs besoins. Une étude a rapporté que les enfants de 2 à 5 ans décidant eux-mêmes la quantité dans leur assiette mangeaient 25% moins que lorsque c’était le parent qui la faisait3. Sans quoi, le fait d’offrir une portion généreuse à l’enfant l’influençait à consommer plus.
D’autre part, les parents peuvent aussi indirectement influencer la consommation de certains aliments chez leurs jeunes par l’environnement alimentaire qu’ils offrent à la maison. Le concept de liberté surveillée s’appliquerait ici. En fait, le but est de leur offrir une autonomie alimentaire en les faisant sentir qu’ils sont libres de leur choix, tout en s’assurant de maintenir un cadre parental autour du repas8. Par exemple, les aliments à valeur nutritive élevée devraient être offerts quotidiennement tandis que ceux à valeur nutritive faible devraient l’être exceptionnellement, à raison d’une fois par semaine. Selon ce principe, tous les aliments ont leur place dans la saine alimentation, il n’y a pas d’aliment interdit, mais bien une question de fréquence et de quantité9. Ceci s’avèrerait être une méthode efficace pour favoriser la consommation d’aliments plus nutritifs5. Ainsi, un cadre alimentaire sain, comme soutenu par Satter, serait plus propice à des comportements alimentaires sains. D’ailleurs, un environnement de repas structuré aiderait les enfants de 1 à 10 ans à répondre à leurs signaux d’appétit et à réguler leurs apports alimentaires7. Une étude a aussi avancé le fait que de manger en famille améliore la qualité de l’alimentation et diminue les taux de surpoids et d’obésité10. Lorsque les parents ont une attitude de contrôle et plus ou moins de cadres au repas, ils viennent empêcher l’enfant de manger selon ses signaux d’appétit. Par conséquent, lorsqu’un parent force un enfant à manger ses légumes ou encore à finir son assiette à table, il vient interférer avec l’habileté de l’enfant à autoréguler sa consommation d’aliments. Une stratégie pour éviter ce type de comportement serait de laisser l’enfant décider de la quantité à mettre dans son assiette et de le laisser choisir les aliments qu’il veut manger parmi ceux offerts3. Il est tout de même bien d’inviter l’enfant à être curieux et l’amener à goûter à de nouveaux aliments. Il ne faut toutefois pas forcer l’enfant à le manger si ce n’est pas à son goût, proposez-lui plutôt une autre alternative ou sinon réessayez l’introduction de cet aliment autrement une prochaine fois8. Parfois, il peut arriver qu’un enfant demande une troisième assiette tellement il aime le repas, et ce sans même avoir faim. Plutôt que de le questionner sur son appétit et lui faire sentir qu’il est jugé, détourner son attention vers un autre aliment comme un dessert nutritif, tels un fruit ou un yogourt. S’il n’en veut peut pas, c’est qu’il n’a probablement plus faim et, ainsi, il pourra réaliser par lui-même qu’il est rassasié. Il reste tout de même adéquat d’expliquer à l’enfant que les restants peuvent être utilisés pour son lunch du lendemain.
Par ailleurs, il a été mentionné que le modèle du partage des responsabilités s’applique autant à l’enfant qu’à l’adolescent. Cependant, durant la période de l’adolescence, il devient difficile d’appliquer ce modèle vu la grande influence de l’environnement extérieur sur l’adolescent et le développement de son identité3. Satter soutient tout de même que si le modèle est appliqué dès l’enfance, l’adolescent aura développé de bons comportements alimentaires pour l’aider dans cette phase de vie, mais qu’il reste essentiel de maintenir un cadre familial à l’heure des repas pour lui permettre de continuer à recevoir le soutien familial dans un environnement non influencé par les amis ou le marketing, entre autres3.
Enfin, il est possible de remarquer que des études ont appuyé les principes du partage des responsabilités de Satter. De plus, ce modèle permettrait aux enfants et adolescents de développer une autonomie alimentaire, se voudrait prometteur pour le développement de comportements alimentaires sains et préviendrait le surpoids et l’obésité chez ceux-ci8. Toutefois, il est à noter que ce modèle peut ne pas être applicable à tous les enfants ou adolescents, puisque certains ne sont pas capables de reconnaître leurs signaux d’appétit. Par exemple, les enfants avec un syndrome génétique d’obésité avec hyperphagie, avec de l’obésité hypothalamique ou avec une obésité morbide précoce auraient de la difficulté à réguler eux-mêmes leurs apports3. Pour des cas plus complexes comme ceux-ci, il est important de consulter des professionnels de la santé.
Un rôle important des professionnels de la santé est d’informer les familles et de leur donner les outils nécessaires pour réussir. En consultation, n’hésitez pas à aider les parents à se retrouver face à la cacophonie d’informations dans laquelle ils sont et dirigez-les vers de bonnes ressources. En matière de nutrition pédiatrique générale, Nos petits mangeurs, Naitre et grandir et le Centre CIRCUIT sont des sources d’informations fiables.
Voyant les impacts positifs du partage des responsabilités en alimentation, discuter de ce concept avec eux si l’occasion se présente peut s’avérer bénéfique. Dans le cas où des parents sont particulièrement préoccupés par l’alimentation de leur enfant, il est pertinent de les référer à un nutritionniste. Ce dernier saura les prendre en charge et leur offrir un plan de traitement nutritionnel personnalisé à leur situation.
Références